HISTOIRE D'UNE PIERRE (de P. Barousse)

Je suis née il y a des millions et des millions d’années dans nos belles montagnes des Pyrénées Ariégeoises. Pendant longtemps je n’ai vu que le soleil, les étoiles et la neige, je n’ai entendu que le vent. Puis des oiseaux sont venus me voir et j’ai eu la visite des isards. Bien plus tard des hommes sont montés jusqu’à moi et un jour, parmi eux, j’en ai remarque un : il avait une démarche pesante mais sûre et il portait des lunettes noires. Quelques fois il était seul, mais la plus part du temps il était accompagné de jeunes. Chaque fois qu’il atteignait un sommet, il disait une prière et chantait souvent en patois, et tous ceux qui étaient avec lui l’accompagnaient. Ils avaient l’air tellement heureux.

Après de nombreuses années je ne l’ai plus revu. Quelquefois, je reconnaissais certains de ses amis qui, une fois le sommet atteint, parlaient toujours de lui avec beaucoup de respect.

Un jour, il y a eu un grand orage, la foudre est tombée et a fait éclater la montagne et je suis devenue, moi qui était fière d’être au sommet, une modeste pierre au fond d’un thalweg. C’est alors que des hommes sont venus. Je les avais vus avec l’homme aux lunettes noires. Ils avaient l’air de chercher quelque chose. Ils se sont dirigés vers moi, m’ont mesurée, m’ont soupesée et m’ont chargée sur le dos d’un des leurs. Je n’étais pas contente et j’ai essayé de me défendre espérant leur écraser les doigts des mains et des pieds, mais ils ont été plus forts. Cependant j’ai tout fait pour meurtrir les chairs du dos de mon porteur, je suis certaine qu’il doit toujours s’en souvenir !

Quelques temps après ils m’ont déposée au pied d’une église d’où je pouvais voir une montagne enneigée : oh, ce n’était pas la mienne, mais je dois l’avouer, elle était aussi belle et sa vue m’a ramené un peu de joie.

On est venu ensuite me prendre pour me placer à l’intérieur de cette église, au milieu des pierres qui en faisaient la construction. Elles n’étaient pas comme moi : elles étaient moins dures et elles n’avaient pas mes brillants de mica. Elles n’étaient pas contentes de me voir prendre la place d’une d’elles, et moi j’étais triste d’être enfermée dans cette église sombre.

Un jour un homme est venu et m’a implanté des lettres qui formaient un nom. Dès ce moment, mes sœurs les pierres ont été très gentilles et sont venues me consoler me disant qu’elles aussi, qui étaient là depuis des siècles, avaient connu des mauvais moments : certaines avaient subi les coups de masses des brigands, d’autres avaient été léchées par les flammes des incendies… et ensuite elles étaient revenues à leur place et elles étaient heureuses. Elles m’ont dit aussi que le nom que je supportais était celui d’un prêtre qui avait laissé un souvenir inoubliable parmi tous les habitants, et qui amenait beaucoup de jeunes sur les sommets. C’est alors que j’ai vu rentrer dans cette église l’homme aux lunettes noires, qui gravissait les montagnes : il avait la même démarche pesante, et sûre, et son visage reflétait la même joie que lorsqu’il atteignait un sommet. Il vint vers moi, me caressa de ses mains, comme avant lorsqu’il cherchait une prise. Il me dit combien il était content de me revoir ainsi que toutes mes sœurs les pierres, qui constituaient cette église. Il m’expliqua qu’il était resté trente ans dans ce village et il me raconta toutes les joies et tous les malheurs dont il avait été le témoin. Il me parla de tous les habitants, de ceux qui croyaient et de ceux qui ne croyaient pas. Nous étions heureux et chaque fois qu’il y avait une assemblée dans cette église, joyeuse ou triste, il était là, à côté de nous, à participer avec ses amis.

Un jour, des ouvriers sont venus : ils ont installé un grand instrument de musique, puis ils ont repeint les voûtes et les murs. Alors, l’homme aux lunettes noires a été encore plus heureux, il m’a dit avec un sourire « Pour la peinture ils ont plus de goût que moi. Mais écoute la musique, c’est magnifique, c’est presque comme au paradis ». Nous étions dans la joie tous les deux, jusqu’au jour, alors que comme d’habitude, nous restions discrets ne faisant un clin d’œil qu’aux habitants du village, à coups de marteau on m’a enlevé de cette place à laquelle je m’étais habituée. Après un peu d’hésitation on m’a mis sous le porche de cette église. L’homme aux lunettes noires est parti et j’ai été de nouveau très triste. Mes sœurs les pierres en voyant mon état m’ont dit : « ne crains rien, comme nous un jour tu regagneras ta place ». Puis un soir, alors que je pleurais dans un coin, les pierres pleurent aussi, j’ai vu revenir l’homme aux lunettes noires, il était très triste lui aussi. Je lui ai dis : « vous qui avez vos entrées au paradis, vous ne pouvez pas demander pourquoi on nous fait ça ? ». Il m’a répondu qu’il voulait bien essayer et alors j’ai entendu ce dialogue, les pierres entendent aussi.

L’homme aux lunettes noires : Seigneur, pourquoi on nous a expulsé de cette église, la pierre et moi ?

Le Seigneur : Ecoute j’ai d’autres problèmes plus importants que le tien, à  régler avec ces hommes qui marchent sur la tête !

L’homme aux lunettes noires : Seigneur ! C’est important pour la pierre et pour moi de savoir pourquoi on nous a punis.

Le Seigneur : Pourquoi tu parles de punition ? On a peut – être voulu te mettre à l’honneur.

L’homme aux lunettes noires : Seigneur, vous savez bien que les honneurs et le luxe, je ne m’en suis jamais soucié.

Le Seigneur : Oui, oui, on ne peut pas te le reprocher. Mais quand même tu as eu le luxe de la montagne et l’honneur de gravir ses sommets.

L’homme aux lunettes noires : J’ai tellement fait pour ses habitants, Vous pouvez leur demander.

Le Seigneur : Je sais, je sais, mais après ton passage, on a aussi fait de belles choses, regarde la chapelle Notre – Dame et celle de St – Roch, et la chapelle St – Martin et les orgues.

L’homme aux lunettes noires : Vous permettez Seigneur, pour la chapelle Notre – Dame, si je n’avais pas fait refaire le toit, elle serait en ruine maintenant. Je reconnais qu’elle est devenue un vrai bijou. Pour St – Roch, je le confesse, je l’ai négligée. Pour la chapelle St – Martin, je m’en servais de local d’entretien, c’est vrai elle est très belle avec ses nouveaux vitraux. Pour les orgues, c’était du domaine du rêve à mon époque, il ne suffit pas d’avoir l’idée, il faut de l’argent, et vous le savez, moi je n’en avais pas !

Le Seigneur : Tu trouves toujours des excuses, mais je sais que toutes ces belles réalisations matérielles sont peu à côté du souvenir que tu as laissé aux Laroquais. Je comprends pourquoi les habitants t’aiment tant, et les pierres aussi, même si un jour tu les as peintes d’une drôle de couleur. Mais, en définitive, que veux tu pour toi et ta pierre ?

L’homme aux lunettes noires : Revenir à notre place dans mon église pour pouvoir accompagner vers vous mes amis Laroquais. Ici, j’ai un rôle de portier !

Le Seigneur : Comme je te l’ai déjà dit, je n’ai pas le temps de régler maintenant ce problème, mais je suis d’accord, il faut respecter les symboles. Fais-moi confiance. Prends patience. Un jour je te le promets vous reviendrez à votre place, la pierre et toi. Qu’est – ce – que c’est d’attendre quelques temps pour toi et la pierre, vous qui connaissez l’éternité.

Je n’ai plus rien entendu. L’homme aux lunettes noires m’a dit « nous pouvons lui faire confiance, il tient toujours ses promesses, au revoir ». Il m’a fait son beau sourire et il est reparti gravir sa montagne avec sa démarche pesante et sûre.

Ceci n’est pas un conte. Si, comme moi, vous savez écouter les pierres et comprendre leur langage, allez au lever ou au coucher du soleil au Castella, appuyez vous contre la grille du porche de l’église et vous pourrez écouter cette histoire, car les pierres sont bavardes.

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